Contexte et positionnement

Dans le sillage des travaux pionniers de Humboldt, Vernadsky et Lovelock, les sciences de la nature ont progressivement adopté l’idée que la planète Terre constitue un système intégré dont nous pouvons étudier en grand le fonctionnement et la trajectoire.

De la vivabilité à l’habitabilité

Il ne s’agit pas seulement de reconnaître que l’eau, l’air, les roches et les êtres vivants sont en interaction constante mais plus précisément de comprendre que ces interactions ont rendu, et continuent de rendre, la planète terre vivable. La conséquence épistémologique est majeure puisqu’elle nous oblige à penser cette interdépendance entre vivants et non-vivants pour appréhender l’étude du système terre et de ses sous-systèmes.

A l’heure de l’Anthropocène, les sciences de la durabilité prolongent cette ligne de pensée systémique en substituant à la notion de vivabilité celle d’habitabilité. Si la vivabilité peut s’entendre comme une co-production bio-physico-chimique, l’habitabilité, elle, pré-suppose un projet de société, et l’espace habitable et habité s’entend alors comme une co-production des relations tissées entre individus et collectifs, entre humains et non-humains, avec tout ce que cela impose comme organisation et régulation des modes de vie, d’aménagement et d’utilisation des ressources.

De manière pratique, l’habitabilité se conçoit plus aisément en termes de limites ou de seuils que ce soit à l’échelle planétaire (planetary boundaries) ou à l’échelle très locale (par exemple les plans d’expositions aux risques). Et les interrogations actuelles portent sur les risques de franchissement de ces seuils et leurs conséquences sur la trajectoire du système (tipping points).

Vouloir préserver l’habitabilité nous conduit à aborder les questions comme la reconfiguration des relations entre les humains les non-humains au profit du bien-être de tous (one health), la gestion durable des ressources naturelles, l’atténuation des impacts de nos activités sur l’environnement (one earth) et, si possible, la restauration des dommages causés par nos activités passées (one legacy). Il nous faut trouver un nouvel espace - non pas géographique, mais un espace de relations - où atterrir (cf. la figure 1 pour un essai de traduction « gaia »-graphique). 

Pour une approche territoriale

En complément des programmes d’observation de la terre pensés à l’échelle globale et d’une science du système terre (earth science), il est nécessaire que se développe une nouvelle science des territoires (land science) associant sciences de la nature, sciences de l’ingénieur et sciences humaines sociales.

C’est ce qu’expriment les initiatives scientifiques autour de la zone critique en géosciences et l’approche socio-écologique en écologie. Les enjeux de cet « atterrissage » sur un nouveau « sol » dans l’Anthropocène sont multiples.

D’une part, il s’agit de porter l’effort d’observation et de compréhension à une échelle où peuvent réellement s’appréhender les mécanismes de couplages entre variables d’état biotiques et abiotiques, entre dynamiques dites naturelles et des dynamiques dites sociales, ainsi que leurs incidences sur le métabolisme des territoires et la trajectoire des socio-écosystèmes.

D’autre part, il s’agit de se tenir au plus près des problématiques environnementales, économiques et sociales propres à chaque bassin de vie, en interaction avec ses acteurs dans une démarche relevant de la recherche impliquée et/ou de la recherche-action.

Enfin, il y a un enjeu de nature épistémique qui consiste à incarner les problématiques globales en un récit local qui rende bien compte des liens entre les collectifs humains et non humains, à la fois dans ses dimensions matérielles, cartographiques et affectives (attachement au territoire). C’est dans ce cadre que s’inscrivent les développements récents d’une science des socio-écosystèmes, dont l’objet porte précisément sur les articulations entre sphères sociales et naturelles qui se jouent à l’échelle des territoires. C’est au prisme de ces nouveaux paradigmes que doivent se concevoir les infrastructures scientifiques de demain.

Vers un observatoire intelligent des socio-écosystèmes (smart observatories of socio-ecological systems)

Les grands instruments de la physique qui ont récemment permis la découverte de nouvelles particules et des ondes gravitationnelles ont offert de nouveaux points de vue sur l’univers.

Cela conduit aujourd’hui à revisiter les questions fondamentales de la cosmologie et de l’astrophysique (par exemple la matière noire).

A l’instar de cette astrophysique qui devient une astrophysique multi-messagers, la science des territoires - de la zone critique et des socio-écosystèmes - doit aussi s’équiper d’infrastructures nouvelles lui permettant de recueillir de nouveaux signaux, de démultiplier ses points de vue sur cette terre inconnue et soudainement réactive, ces territoires en métamorphose et que nous voulons explorer.

Le projet TERRA FORMA a pour objectif de mettre profit les progrès technologiques les plus innovants pour ré-interroger l’acquisition des données par les infrastructures distribuées des zones critiques et des socio-écosystèmes et de produire de nouveaux repères et de nouvelles représentations associant les humains aux vivants et aux non-vivants.