La 6e édition du colloque du Réseau des Zones Ateliers du CNRS, organisée du 17 au 19 septembre 2024 à Sainte-Menehould, a mis en avant une diversité programmes de recherche sur les socio-écosystèmes. Une majorité de ces projets scientifiques reposent d’une part, sur des principes d’interdisciplinarité entre sciences environnementales et sciences humaines, et d’autre part, sur des méthodologies de recherches participatives.
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Les interventions couvraient une diversité de sujets tels que la dynamique de la biodiversité, les conflits socio-environnementaux, l’adaptation aux changements climatiques, et proposaient également des éclairages à partir de nombreuses études de cas spécifiques comme l’écologie des huîtres, la préservation d’espèces menacées, les écosystèmes aquatiques, la contamination environnementale, les enjeux de sécurité humaine et alimentaire en lien avec la transformation des milieux etc.
Les chercheurs TERRA FORMA étaient présents à cet évènement. Maryse Carmes, maitresse de conférences HDR, Conservatoire National des Arts & Métiers, responsable du WP4 TERRA FORMA nous en présente quelques éléments synthétiques des échanges ayant eu lieu.
Les projets de recherche exposés peuvent se distinguer en fonction de plusieurs dimensions. Parmi celles-ci : les différentes disciplines mobilisées, les sphères d’acteurs impliqués, les méthodologies et configurations de collaboration entre les scientifiques et les parties prenantes.
Le colloque RZA se distingue par une forte dynamique d’interdisciplinarité entre sciences environnementales/géosciences et une mobilisation accentuée des Sciences Humaines et Sociales. La première situation d’interdisciplinarité répond aux impératifs d’appréhension de la zone critique. Exemples de disciplines présentes : géophysique, hydrogéologie, océanographie physique, biologie, écologie forestière et agricole, éco-éthologie, pédologie, géochimie organique….D’autre part, face à la diversité des problématiques socio-environnementales et socio-politiques traversant les territoires étudiés, la seconde situation répond à la nécessité, épistémologique et méthodologique, de compréhension des trajectoires des socio-écosystèmes et de transformation de ceux-ci (en lien avec les objectifs de plusieurs recherches RZA positionnées recherche-action). Exemples de disciplines présentes : philosophie, anthropologie, sociologie, communication environnementale, sciences de l’éducation, études des sciences et des techniques (STS), géographie. L’ouverture aux sciences politiques et à la santé environnementale (sous un regard épidémiologique et socio-politique) s’avère également prometteuse. Cette articulation converge dans ce qui se présente comme « les sciences de la durabilité ».
Quelques projets font également appel à des artistes pouvant être impliqués comme intermédiaires, facilitateurs entre partie prenantes (travail sur les représentations d’enjeux, décadrage du dialogue et des positions etc.), ou encore dans le cadre de la restitution et de la communication des résultats (volet classique « médiation des sciences »). Exemple : « science - société et des méthodes pour « sentir - penser avec » les socio-écosystèmes » afin de favoriser un dialogue avec les habitants, les artisans et les artistes du territoire de la ZABR (partenariat entre l’UMR G-EAU, le CIRAD, l’UMR Espace et IMT Mines Alès).
Les groupes d’acteurs sociaux participant aux recherches relèvent de trois catégories principales : (1) des gestionnaires territoriaux et acteurs de politiques publiques (techniciens, collectivités territoriales, PNR, décideurs publics..) (2) des groupes professionnels tels que des ostréiculteurs, agriculteurs… (3) des habitants, impliqués au regard des enjeux portés sur leur territoire, de leurs pratiques, visions ou des plaidoyers portés. Ex. des promeneurs, cueilleurs et chasseurs des forêts de l’Argonne-Ardennaise, afin d’étudier les rapports de production, prédation, protection de ceux-ci vis-à-vis d’une espèce protégée d’amphibiens. Dans certains cas, les populations concernées peuvent être regroupées en association ou communauté « savante » (ex. associations naturalistes, institut écocitoyen, club de spéléologie…). Ces sphères peuvent être vues comme des acteurs collaborant directement à la recherche (selon des méthodologies variables) ou des « destinataires » bénéficiaires du projet scientifique. Rarement sollicitées dans les projets, les entreprises se trouvent le plus souvent indiquées au travers des impacts environnementaux de leurs activités présentes ou passées. Dans certains cas, la reformulation d’enjeux quant à la transformation de la gestion d’un écosystème met en jeu des problématiques d’emploi (ex. évaluation des effets multiples, environnementaux et sociétaux, d’une contamination chimique complexe d’un écosystème aquatique, la Cleurie).
Variant quelque peu selon leurs configurations, ces recherches transdisciplinaires (Vienni Baptista, 2023) se présentent donc comme une approche collaborative qui transcende non seulement les frontières disciplinaires traditionnelles pour intégrer des connaissances issues de diverses disciplines académiques, mais aussi la partition héritée entre savoirs experts et « savoirs profanes » (savoirs non académiques, savoirs situés). Les conditions de réalisation de la transdisciplinarité, ses écueils comme ses leviers, leurs impacts scientifiques, sociaux et politiques, constituent également des axes d’étude sur les recherches participatives elles-mêmes.
Différentes notions se trouvent utilisées pour décrire les méthodologies développées dans ce cadre : recherche participative, recherche-action, recherche collaborative, concertation… Les approches des sciences citoyennes ou de métrologies participatives relèvent de quelques cas. Exemple : des citoyens et chercheurs interrogent l’habitabilité d’un territoire, à partir d’une « coétude d’une controverse sanitaire et environnementale dans le Tarn », celle-ci impliquant des mesures collectives de pollution liée à l’activité d’une centrale d’enrobage à chaud.
Les travaux menés peuvent relever de différentes configurations en recherches et sciences participatives (SRP). Ainsi, selon les modèles de M.Haklay ou de K.Vohland (Haklay, 2013 ; Vohland, 2021), on peut opérer une classification de ces approches à partir des relations entre chercheurs et citoyens, ces relations étant notamment caractérisées par le niveau d’engagement des participants non scientifiques aux différentes étapes du processus. Il s’agirait donc d’examiner les projets de recherche participative et transdisciplinaire selon le degré de co-construction de la recherche (de la problématisation et des méthodologies jusqu’aux moyens d’interprétation des résultats), les processus et phases de collaboration, les modes d’acquisition des données etc. De manière synthétique, Volhand distingue plusieurs modèles de sciences et recherches participatives, allant d’une approche contractuelle (le protocole scientifique est imposé aux populations sans dimension collaborative) à une approche co-créative voire collégiale (celle-ci s’approchant des modèles de recherche action participative). Le modèle dit « contributif » se centre sur la production de mesures/données (crowdsourcing) mais il peut s’associer à un modèle ouvert à la co-construction et à la collégialité. A ce titre, voir notamment les méthodologies envisagées dans le cadre du programme TERRA FORMA en métrologies participatives (utilisation de capteurs environnementaux).
Le colloque RZA fut également l’occasion de discussions sur d’autres thèmes transverses.
Comment la recherche permet-elle de transformer les rapports aux espèces protégées par exemple ? En mettant au cœur de la démarche des principes de mise en dialogue de différentes représentations et rationalités d’acteurs (économiques, sociales, écologiques…), l’enjeu est celui du passage d’une contrainte liée à une espèce protégée (transformation de pratiques, respect de la législation etc.) à la co-construction de solutions et scénarios faisant consensus. Cela implique notamment un travail d’analyse et de transformation des représentations liées aux milieux et aux espèces sauvages : comment les habitants perçoivent-ils la disparition de ces espèces, la dégradation de la biodiversité ? Cette perspective rejoint celle des attachements (A.Hennion), que l’on peut comprendre ici comme expériences vécues, pratiques, interactions qui façonnent et transforment nos rapports aux écosystèmes. Exemples de projets de recherche : recherche-action collaborative pour mesurer les effets du classement du renard comme Espèce Susceptible d’Occasionner des Dégâts (programme « Careli », Zone Atelier Arc Jurassien) ; programme de conservation d’un amphibien en danger critique, le sonneur à ventre jaune (ZA Argonne). Transformer les visions, faire connaître nos dépendances aux vivants non humains, passe dans d’autres cas encore, par le concept de solution fondée sur la nature (exemple : le rôle des castors comme solution à l’assèchement des marais). Les solutions fondées sur la nature invitent à intégrer davantage de biodiversité dans les projets de territoires pour assurer leur développement durable tout en investissant dans la préservation et la restauration des écosystèmes (Inrae).
L’analyse des impacts des recherches participatives sur les socio-écosystèmes constitue ainsi un enjeu scientifique à part entière. De nombreuses approches peuvent être ici mobilisées selon les axes d’observation et types d’impacts retenus : scientifiques, environnementaux, sociaux, politiques etc. (Wehn et al.2021 ; Kieslinger et al., 2018).
De manière simplifiée, se distinguent trois catégories d’indicateurs (Carmes, 2023) :
- Des indicateurs d’impacts scientifiques et éco-politiques : création de connaissances scientifiques robustes ; évolution des politiques et actions publiques à diverses échelles ; changement des trajectoires écologiques ; préservation des milieux et des ressources naturelles …
- Des indicateurs socio-écologiques : changements des perceptions, valeurs, comportements ; transformation des relations chercheurs-parties prenantes ; évolutions des plaidoyers, controverses ; enrichissements des littératies/connaissances écocitoyennes, …
- Des indicateurs processuels et organisationnels : relatifs à la démarche, aux dispositifs mis en œuvre ; pertinence des méthodologies retenues ; évolution des modes d’interactions, de la dynamique collective et collaborative ; pertinence du processus de co-production des données et de ses effets en termes d’adaptation ….
Concevoir une recherche participative peut à la fois être motivé par un enjeu méthodologique (acquisition de données et observations plurielles, compréhension des pratiques territoriales etc.) et par un enjeu d’impact, de transformation en profondeur des politiques et pratiques à diverses échelles. En impliquant une diversité de partie prenantes et en travaillant à l’élaboration de nouvelles connaissances utiles aux territoires, ces approches travaillent pour une part d’entre elles à la reconfiguration des controverses et conflictualités environnementales. Les formes de recherche impliquée, de recherche action etc., les coopérations établies avec des collectifs (instituts écocitoyens, associations naturalistes, groupes professionnels etc.), tout cela invite à examiner les différentes traductions du paradigme SAPS (« Science avec et pour la Société), l’importance des valeurs dans les sciences climatiques (Pulkkinen, et al., 2022). De même, les recherches participatives sur les socio-écosystèmes pourraient constituer une certaine évolution des principes du GIEC qui posent la nécessité d’informations scientifiques pertinentes pour les politiques publiques (policy relevant) sans toutefois prescrire des actions politiques spécifiques (not policy prescriptive). Sur ce thème, la table ronde et le documentaire « Le manifeste de l’Arcouest » ont permis de nourrir la réflexion sur l’engagement des chercheurs aujourd’hui.
Mis à jour le 6 décembre 2024